Historique et avenir des primes d’enseignement supérieur, de 1954 au RIPEC et au-delà. Une égalité de traitement pendant plus de 66 ans !

 

1) Une stricte égalité de traitement de 1954 à 1989

Le Décret n°54-543 (1) du 26 mai 1954 instituant une indemnité forfaitaire spéciale en faveur des personnels enseignants, publié au journal officiel n°122 du 27 mai 1954 précisait, à son article 1, que :

« Les fonctionnaires relevant du ministère de l’éducation nationale et du ministère de l’agriculture qui assument une fonction proprement et exclusivement enseignante, en présence des élèves, reçoivent une indemnité forfaitaire annuelle dont les taux sont fixés de la manière suivante :

Fonctionnaires dispensant leur enseignement dans un établissement de l’enseignement supérieur ou assimilé : 7000 F (Francs) »

Le montant de cette prime était donc le même pour tous les enseignants du supérieur qui étaient fonctionnaires, notamment pour les professeurs d’université et les professeurs agrégés (il y avait déjà des professeurs agrégés dans l’enseignement supérieur, et même bien avant, notamment les agrégés préparateurs dans les préparations à l’agrégation des écoles normales supérieures et des universités).

S’ajoutait une autre prime pour certains de ces enseignants dont les activités de recherche concouraient plus que d’autres à l'avancement de la recherche scientifique (cf. notamment le décret n° 57-759 du 6 juillet 1957 instituant un fonds de participation à la recherche scientifique). Mais il y avait bien égalité de traitement entre professeurs d’université et les professeurs agrégés pour la prime liée à l’activité « proprement enseignante » dans le supérieur.

2) Une égalité de traitement maintenue par des textes jumeaux de 1989 à 2021

Deux décrets et trois arrêtés (2) du 23 octobre 1989 publiés au journal officiel n°248 du 24 octobre 1989 maintiennent cette égalité de traitement en matière de prime liée à l’activité d’enseignement dans le supérieur entre enseignants-chercheurs, PRAG, PRCE et ATER (qui sont apparus depuis 1954) et quelques autres catégories.

Le Décret n°89-775 (3) s’applique aux « personnels de l'enseignement supérieur relevant du ministère chargé de l'enseignement supérieur », à savoir les enseignants-chercheurs et assimilés ; il y est question d’une « prime de recherche et d'enseignement supérieur » versée aux « personnels qui participent à l'élaboration et à la transmission des connaissances ainsi qu'au développement de la recherche » (article 1).

Le Décret n°89-776 (4) s’applique « à certains personnels enseignants en fonctions dans l'enseignement supérieur », à savoir les PRAG et assimilés (Professeurs ENSAM), et les PRCE et assimilés (PLP et professeurs des écoles), et à quelques autres catégories ; il y est question d’une « prime d'enseignement supérieur » versée aux « personnels qui participent à l'élaboration et à la transmission des connaissances »

Chacun de ces deux décrets comporte l’autre parmi ses visas (« Vu le décret etc. »), et précise que la prime touchée au titre d’un des décrets est exclusive de celle touchée au titre de l’autre décret.

Les primes déterminées par les arrêtés jumeaux en application des décrets jumeaux sont d’un montant identique, alors que pour les enseignants-chercheurs la prime ne concerne pas que la « [participation] à l'élaboration et à la transmission des connaissances » mais aussi au « développement de la recherche ». Ce qui signifie que :

- la prime des enseignants-chercheurs se fonde pour moitié sur leur activité d’enseignement et pour moitié sur leur activité de recherche,

- ceux des enseignants du supérieur qui n’ont pas d’activité de recherche, ayant un service d’enseignement double de celui des enseignants-chercheurs, ont une prime d’enseignement supérieur qui doit être le double de celle que touchent les enseignants-chercheurs au titre de la seule activité d’enseignement, ce qui préserve l’égalité de traitement.

 

3) Le choix d’un traitement discriminatoire par le gouvernement depuis 2021

Par deux arrêtés du 26 février 2021 (5), le gouvernement revalorise les primes d’enseignement supérieur des enseignants-chercheurs mais de manière inégale :

- celle des maîtres de conférence passe à 2 350 €

- celle des professeurs d’université passe à 1 840 €

- celles des PRAG, PRCE et autres enseignants fonctionnaires non astreints statutairement à une activité de recherche passe à 1 546 €

- celle des ATER passe à 1 259,97 €

Plusieurs professeurs d’université saisissent alors le Conseil d’État en invoquant une violation du principe d’égalité de traitement, à leur détriment, mais se font débouter par un arrêt du 28 septembre 2022 (affaire n°451488) (6), au motif que (considérant n°7 de l’arrêt) « si cette prime est versée à raison de la participation des agents concernés à l'élaboration et à la transmission des connaissances ainsi qu'au développement de la recherche, les dispositions qui la régissent n'impliquent nullement qu'elle soit attribuée dans les mêmes conditions à des fonctionnaires appartenant à des corps différents ».

Un recours du SAGES pour les PRAG, les PRCE et les ATER fondé uniquement sur la même argumentation que celle de ces professeurs d’université aurait a fortiori été rejeté, car en plus ils n’appartiennent pas à un corps d’enseignant-chercheur. Il nous a donc fallu trouver d’autres arguments, ou les fonder sur d’autres normes juridiques (cf. notre article sur nos actions juridiques contre les discriminations introduites par le RIPEC).

4) Le traitement ouvertement discriminatoire introduit par le RIPEC.

Si les arrêtés précités du 26 février 2021 ont pour la première fois institué une différence de traitement en matière de prime liée à l’activité d’enseignement dans le supérieur, ces textes étaient encore dans la continuité des précédents, et ils n’opéraient pas encore une coupure totale entre les enseignants-chercheurs et les autres enseignants du supérieur. Par ailleurs, il est vrai que l’on devient maître de conférence de plus en plus tard après l’obtention du doctorat, si bien qu’il n’était pas injustifié d’en tenir compte.

Avec le Décret n° 2021-1895 (7) du 29 décembre 2021 portant création du Régime Indemnitaire des Personnels Enseignants et Chercheurs (RIPEC) en revanche, le gouvernement a procédé à une refonte complète du régime des primes, mais seulement pour les enseignants-chercheurs et les chercheurs.

Ce décret institue pour eux :

- une « indemnité liée à leur grade » (connue depuis sous l’appellation abrégée « composante C1 du RIPEC » voire « C1 du RIPEC »)

- une « indemnité liée à l'exercice de certaines fonctions et responsabilités particulières » (connue depuis sous l’appellation abrégée « composante C2 du RIPEC », voire «  C2 du RIPEC »)

-une « prime individuelle liée à la qualité de leurs activités et de leur engagement professionnel au titre de l'ensemble de leurs missions statutaires » (connue depuis sous l’appellation abrégée « composante C3 du RIPEC », voire «  C3 du RIPEC »)

Un arrêté du même jour (8) (29 décembre 2021) donne des précisions sur les montants relatifs à ces trois composantes du RIPEC :

- pour la C1 du RIPEC 2 800 €

- pour la C2, un montant pouvant aller jusqu’à 6 000 € pour des responsabilités particulières (chef de département dans un IUT, par exemple) ou des missions temporaires ; jusqu’à 12 000 € pour des responsabilités supérieures (responsable de la formation par exemple) ; et jusqu’à 18 000 € pour des fonctions de direction (d’IUT par exemple)

- pour la C3, de 3 500 € à 12 000 €.

D’un montant fixe quelle que soit la catégorie de personnel concernée par le RIPEC, sa composante C1 correspond donc à l’ancienne prime, et elle a été augmentée une deuxième fois en 2021 alors que celle des PRAG, des PRCE contractuels ne l’a pas été. L’écart est maintenant de 2800 – 1546 = 1254 €. Et de 2800 – 1260 = 1540 € pour les ATER !

À ces différences s’ajoutent ce qui relève des composantes C2 et C3 du RIPEC, soit au minimum 3500 €.

La différence totale est donc désormais au minimum de 5000 € entre ce que perçoivent les enseignants-chercheurs en sus de leur traitement statutaire et ce que perçoivent les PRAG et les PRCE en sus de leur traitement statutaire (et quasiment idem pour les ATER).

Des « lignes directrices de gestion (9)» du 14 janvier 2022 publiées le 10 mars 2022 sont venues préciser, à leur § 3-3, que la composante C3 du RIPEC peut être accordée pour l’« investissement pédagogique », ou « l’activité scientifique », pour des « tâches d'intérêt général », ou au titre de l'ensemble des missions d'un enseignant-chercheur.

Le RIPEC institue donc une triple différence de traitement entre les enseignants-chercheurs et les autres enseignants du supérieur (PRAG, PRCE, ATER etc.) :

- en ce qui concerne la prime liée au grade (C1), dont le montant est inférieur pour ces autres enseignants

- en ce qui concerne l’« investissement pédagogique » et les « tâches d'intérêt général », qui ne peut donner lieu au paiement de la composante C3 du RIPEC que pour les enseignants-chercheurs ; différence qui ne repose sur aucun motif objectif et raisonnable, et qui a donc un caractère discriminatoire

- en ce qui concerne la composante C2, si les établissements ont la possibilité de verser des primes ou d’accorder des décharges aux PRAG ou aux PRCE pour les fonctions que vise cette composante, il ne s’agit que d’une faculté, pas d’une obligation, et il leur est impossible, pour les mêmes responsabilités exercées aussi bien par des PRAG ou des PRCE, de leur verser le même montant qu’aux enseignants-chercheurs ; cette différence a donc elle aussi un caractère discriminatoire.

5) Les revalorisations à venir (ou pas...).

La ministre de l’enseignement supérieur a récemment annoncé différentes revalorisations, y compris pour les PRAG et les PRCE. Toutefois :

- il n’y est pas question de mettre fin aux discriminations introduites par le RIPEC, ni même à une seule d’entre elles ; il n’est même pas question de compenser l’inflation !

- les montants annoncés n’ont aucun caractère de certitude, surtout qu’ils sont annoncés comme s’étalant jusqu’en 2027 !

- ces prétendues compensations qui n’en sont pas en vérité sont en deçà de ce que nous avait annoncé le cabinet de la ministre en audience le 13 juillet 2022

Ces annonces font suite à d’autres plus anciennes, nous n’en précisons pas ici les montants tant qu’ils ne relèvent que de la communication politique.

Pour sa défense, le ministère annonce qu’il va y avoir augmentation des primes des PRAG et des PRCE, ça va donc dans le bon sens. Il a trouvé certains relais syndicaux pour, espère-t-il, faire avaler ça à certains de nos collègues, ou du moins calmer leur colère, les faire patienter, puis se résigner. Le ministère espère notamment que les PRAG et les PRCE ne voteront pas massivement pour la seule liste, celle du SAGES, qui demande à ce qu’il soit totalement mis fin à la discrimination instituée par le RIPEC, et donc que les PRAG, les PRCE et les enseignants contractuels y soient pleinement intégrés. Ainsi le ministère pourrait arguer que ces autres enseignants se contentent des miettes qui leur sont accordées, et que s’ils veulent davantage, à eux de convaincre les gros syndicats de porter enfin vraiment leur réelles revendications en la matière (ce qui n’est déjà pas le cas dans leurs professions de foi et dans leur premier courriel électoral, et ce qui n’a jamais été le cas de leur part auparavant).

6) Les actions du SAGES pour mettre fin à cette discrimination.

C’est l’objet d’un article à venir


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